La démographie, la répartition du travail (sur le temps de la vie et au sein de la population active) et bien sûr la répartition des richesses sont les principaux thèmes qui sous-tendent le débat autour du système des retraites. A l’inverse la solidarité entre générations, ou plus modestement la simple idée d’un équilibre intergénérationnel, apparait plus rarement comme un des fondements des projets défendus.
Cette absence est révélatrice, en creux, d’une réalité politique ; celui d’un conflit générationnel latent dans notre pays. Cela s’explique sans doute par le fait que les rapports entre générations sont supposés naturellement pacifiés par les principes fondamentaux de la société française.
Je crois qu’il s’agit d’une erreur d’analyse importante.
Les réalités économiques qui organisent aujourd’hui les relations entre les générations ont changé. Or les motivations des projets gouvernementaux ou du PS restent largement associées à des réalités passées ; ainsi du refus de réduire les pensions, argumentés sur la modestie de certaines d’entre elles, mais oublieux du fait que le niveau de vie des plus de 65 ans croît plus vite que celui de la population active, et ce depuis 10 ans. Que ce niveau de vie est le plus élevé d’Europe. Et n’oublions pas ici la confusion qui règne sur la question de la dette où sont volontiers mélangées celle de l’Etat et celle du système des retraites.
Les enjeux sont d’envergure pour la société française dont le vieillissement ne saurait se confondre avec l’effacement des générations nées après 1970. Le dire et proposer d’intégrer cet objectif (l’équilibre intergénérationnel) dans les politiques publiques créerait un débat et peut-être un réveil des générations concernées. La réforme du système des retraites constitue une bonne occasion pour ce faire.
Le seul maintien du mécanisme de la répartition ne saurait constituer une garantie du lien intergénérationnel
Ce mécanisme de répartition que toutes les formations politiques s’engagent à maintenir reflète l’adhésion aux fondamentaux de la république. Ainsi l’avis de la commission des finances à l’Assemblée Nationale sur la réforme des retraites, qui appuie son propos en permanence sur les notions de solidarité et d’équité mais n’évoque jamais la question des rapports entre générations.
Or le régime de répartition, s’il atténue l’impact des évolutions depuis la construction du système, ne saurait les effacer totalement. En passant de 23 actifs pour 10 pensionnés à 13 pour 10 qui peut affirmer que le régime de retraite par répartition ne change pas profondément ? La recherche de nouvelles recettes requiert un rééquilibrage générationnel.
Nous pouvons alors reprendre la discussion sur le financement du système avec le principe d’une répartition équitable des charges. Considérant la relative jeunesse de ce mécanisme de répartition et de ses règles, nous nous sentons autorisés, au nom des actifs d’aujourd’hui et des générations futures, à solliciter des efforts de la part des générations qui bénéficient pleinement du système actuel. Ainsi les pensionnés actuels disposant de revenus supérieurs à 30000 € annuels (20% des plus aisés) pourraient « remettre au pot » un pourcentage de leur pension. La mesure n’est pas symbolique. Il est complexe de la chiffrer précisément, mais il est raisonnable de penser qu’une telle contribution couvrirait une part substantiel du déficit actuel du régime.
Une telle mesure permet aussi de replacer le débat sur l’endettement du système de retraites dans sa juste dimension en comparaison de l’endettement public de l’Etat. Compte tenu du nombre de personne pensionnées (en distinguant de celles qui sont retraitées), l’endettement de 32 milliards € ne correspond qu’à un endettement de 2000 € par pension versée ; ce n’est pas encore insurmontable.
Il faut maintenir les sujets de ces deux dettes politiquement séparés et ne pas noyer l’ensemble dans une discussion fiscale où les enjeux sociétaux du système des retraites seraient oubliés, notamment celui des équilibres intergénérationnels.
Ces propositions, et l’esprit qui les inspire semblent pourtant aller à contre-courant des politiques publiques contemporaines.
Les choix politiques collectifs opérés en faveur des seniors portent la marque du vieillissement des populations.
Les simples chiffres relatifs aux transferts sociaux sont inquiétants. La France consacre environ 600 milliards d’€ à ces derniers et il apparaît que les retraites pèsent pour près de 50% dans ce montant (279 Mds €). Cela signifie que nous consacrons 50% de notre effort de solidarité à un quart de la population et cette simple réalité devrait nous convaincre que nous ne pouvons pas poursuivre dans cette voie. L’accroissement naturel de la population âgée et retraitée nous conduirait à orienter la plus grande part de nos dépenses sociales vers une seule catégorie, au détriment de toutes les autres. A elle seule cette idée est peu acceptable. Elle devient impossible à envisager lorsqu’elle signifie que la société marginaliserait les besoins de ses enfants et ses jeunes adultes au profit des générations les plus anciennes.
La résistance au facteur électoral
On comprend pourtant l’hésitation des formations politiques à aborder le sujet. Les personnes les plus actives dans le champ électoral sont celles qui ont entre 55 et 75 ans. A l’inverse la génération qui, a priori, est la plus intéressée par les propos tenus ici, ne participe que modérément aux élections. Il est donc plus simple, et presque naturel, de bâtir des projets de réforme qui satisfont le corps électoral majoritaire. A ce titre les propositions de réforme du gouvernement et du PS (augmentation de durée de cotisation et maintien des pensions) sont conformes aux diverses études d’opinion.
La volonté de ne pas brusquer un électorat actif n’est pourtant pas seule en cause. N’y a-t-il pas là aussi le reflet d’une vision conservatrice de la société ? Au PS comme à l’UMP, on ne perçoit pas la nécessité de réformer en profondeur notre modèle économique et social. Nombreux sont ceux qui ont adhéré au Mouvement Démocrate avec cette volonté de proposer un modèle alternatif, davantage ancré dans le réel du XXIème siècle. Ne pas tenir compte de ce réel ne peut que nous conduire à un conflit plus ouvert entre générations.
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